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Empreintes à l'encre mauve
21 janvier 2016

Rien

rien_bisRien.
Il est des jours où le rien se fait si présent qu’il envahit l’espace.
Et pourtant la vie passe et laisse son empreinte.
Ils sont parqués là-bas, enfoncés dans la boue. Et moi, je suis chez moi.

À travers les branches dénudées, un ciel blanc doré éclaire la fin de la journée.

Tout est calme. Silencieux. Je goûte ma chance et dans le même temps, ce sentiment d’être inutile gâche un peu l’instant, la pause.
Depuis que je suis née, je me bats, les yeux ouverts, pour arracher au monde son secret. Ma curiosité m’a conduite à dévorer des centaines de livres, à suivre des heures de formation, à découvrir les sagesses des hommes, à entrevoir un peu cette réalité que seuls peuvent approcher ceux qui abandonnent leurs croyances et leurs a priori sur ce que, par commodité, les hommes ont appelé dieu et qui ne se peut enfermer dans un mot.

Du bleu pâle apparaît et dispute au blanc doré cette portion du monde que ma fenêtre découpe. L’écorce du bouleau se détache sur le vert du sapin penché, un peu plus loin en arrière. Simplicité de la beauté. Perfection immédiate, sans fards, sans artifices.

Et toujours ce silence. Pas de musique pour me tenir compagnie, pour me donner l’illusion que je ne suis pas seule, qu’il se passe quelque chose.
Pas de fenêtre virtuelle ouverte sur des looool d’hilarité factice ou des débats haineux.
La seule fenêtre, et elle n’est pas ouverte, il fait froid, c’est janvier, est celle de mon salon.
Le calme des objets qui ont trouvé leur place me restitue ce soin que j’ai pris pour les sélectionner et donner à la communauté Emmaüs tous ceux qui ne me parlaient plus.
C’est un ordre vivant où ils peuvent respirer.

Peu à peu, à écrire, je me prends à penser que j’ai droit à ce temps où je me pause là, dans un entre deux, entre deux cours, entre deux copies, entre deux lectures, entre deux parties de la journée, entre deux journées, entre deux parties de vie.  Ce matin, j’ai donné une représentation théâtrale sans filet sur le thème de la fiscalité. Pas de souffleur dans la fosse pour m’aider en cas de trou de mémoire. Et des spectateurs pas tous passionnés, loin s’en est fallu.
Là, maintenant, rien n’est attendu de moi. Seule la joie d’être. C’est à moi de décider si je dois préparer un cours ou me laisser le temps de ce rien, de cet entre deux. Charme de mon métier.
Étrange ce sentiment qui semble habiter la plupart d’entre nous qu’il faut faire quelque chose.
La contemplation du temps qui passe ne se pratique plus. Ô je n’ai pas dit la méditation. Rien que le mot peut faire frémir certain-e-s.
La contemplation. Le rien faire assumé, habité.
Sans tricher. Quoi de pire que tuer le temps en l’occupant ? Toujours après. Ou avant. Jamais là en somme.
Avant, à ressasser ce qu’on aurait pu ou dû faire ou écrire. À mâchouiller des griefs éculés. À regretter ses échecs passés, incapable qu’on est de se ré-inventer, neuf de l’instant d’avant, pour enrichir la vie, le monde, d’un petit supplément d’âme. À revivre et commenter en son for intérieur ou par écran interposé, ses soirées, ses sorties, ses restos et plus si affinités.
Après,  à se projeter dans ses futures soirées, sorties, restos et plus si affinités.

Mais quand donc sommes nous là ? Totalement ?
Quand aurons nous la sagesse d’un corps que l’on malmène ? Un corps qui sait qu’il ne peut différer trop longtemps le moment d’inspirer, par exemple. Un corps qui est là, compagnon fidèle et contraint de chaque seconde de nos vies. Un corps à qui on ne peut demander de respirer demain, parce que maintenant on a autre chose à faire de plus intéressant-important-noble-valorisant-distrayant-ouquesaisje encore. Un corps à qui l'on ne peut demander de revenir en arrière, dans le regret de ce qu'il n'aurait pas encore respiré ou mangé. Quand nous ré-unirons nous avec nous même? À quand les retrouvailles?

Au loin, le sommet des branches entrelacées des peupliers se pomponne de rose. Le couchant point, tout en délicatesse. Mon regard se noie dans cette annonce faite au jour qu’il va bientôt se clore. Déjà la nuit s’installe sur le nu des branches qui s’habillent d’obscur. Les heures vont venir, feutrées sur l’épais silence de la nuit.
Là-bas, le violine apparaît, s’installe au dense des nuages. Les rameaux frémissent : le vent se lève à nouveau, léger, mais sans doute glacial.

Je suis en permanence en mouvement. Parfois trop. Parfois trop vite. J’ai saoulé bien souvent ceux qui me côtoyaient, ne fût-ce qu’un instant.
Je revois le visage du compagnon d’alors, défait, blême : nous sortions d’une librairie, j’avais acheté un xième ouvrage sur l’art de l’auto-massage, ô rien d’érotique, juste le rééquilibrage du corps par des pressions sur les méridiens d’acupuncture. Voyant sa mine inquiète, je lui demande ce qui cause son trouble.
-       c’est toi, encore un livre, tu n’arrêteras donc jamais.
-       …
Que pouvais-je répondre ?
Trente ans plus tard, il me complimenta sur mon opiniâtreté à être fidèle à moi-même et à ce chemin qui se traçait sous mes pas au fur et à mesure que la vie me guidait ça et là, par ses claques, ses alertes et ses déconvenues, et moi là-dedans à en scruter le sens.
Oui, toujours en mouvement. Alors, me poser un peu, à regarder le soir peindre le ciel, c’est un cadeau à m’offrir.

Le rose devient souvenir entre deux vagues gris bleutées. Les sapins semblent avoir grandi. C’est l’heure où bientôt le chien et le loup seront à nouveau identiques. L’heure où même les chats blancs deviendront ombres grises se faufilant dans l’herbe, vite, vite pour retrouver le chaud. L’heure où le petit peuple ailé se blottit, je ne sais pas bien où, pour se tenir en vie.

L’heure aussi, où les femmes dans les camps de réfugiés vont commencer à trembler, pour elles, pour leurs enfants qui vont commencer à trembler, mais de froid. Je n’ai rien fait pour eux. Où est-il l’abbé Pierre qui va remuer toute une Assemblée centrée sur ses prérogatives ? Où est-il le Coluche pour secouer les foules ? Existerait-il qu’on pourrait se demander s’il pourrait s’exprimer. Je ne suis pas célèbre. Ma parole est limitée à soixante paires d’oreilles qui m’écoutent, ou pas, chaque année, mes propos sont encadrés par un programme précis dont il est conseillé de ne pas trop s’éloigner.

L’heure où les programmes télé vont commencer leur œuvre anesthésique avec leurs informations qui n’en sont pas, leurs séries en série, leur indigence et leur pauvreté. L’heure où l’on va passer de l’écran de l’ordinateur, à celui du téléphone portable ou bien de la tablette, puis à celui de la télé. Où l’on va regarder d’un œil l’un, jouer sur l’autre à quelque jeu sans âme où l’on fait tomber des bonbons, des sodas, des fleurs, ou des pierres précieuses, et répondre sur le troisième aux messages de sa messagerie instantanée. L’heure où la peur du vide se fait mâchoire tenaille.

L’heure où la plupart des familles vont se retrouver, avec leurs joies, les histoires de la journée à partager mais aussi leurs drames, leurs lâchetés, leurs violences larvées ou pas.

L’heure où les célibataires vont passer au café prendre un verre, puis rentrer. Seul-e-s dans une solitude plus ou moins bien assumée, bien plus souvent subie que choisie.

Je ne vois plus rien dehors.

Rien.

 

MC Janvier 2016

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