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Lignes de vie. Boucles du temps.
Je me souviens de cette mèche qui te tombait sur le front et que tu remontais sans cesse.
Elle s’est envolée, sans doute un jour de trop grand mistral.
Et oui, tu t’es installé dans le grand Sud de la France, là où la terre si rouge épouse à la fois le bleu intense du ciel et le bleu profond de la mer. Là, où l’air est rempli des odeurs de la terre, en un parfum changeant au moindre de nos pas. Là, où, paraît-il, au printemps, les collines s’encolorent de jaune et s’enivrent de cette odeur sucrée qui fait tourner les têtes des belles. Là, où la mer a sculpté les roches de calcaire, racontant mille histoires de marins enfermés à jamais dans ces cimetières de pierre. Là où ces arbres noueux poussent le gris de leur feuillage et offrent à la terre le miel d’une huile d’or.
Là, où les lavandes s’étirent en rubans odorants. Là, où chantent les cigales et la voix des hommes.
Et oui, tu as le front bien lisse maintenant et tu noues le reste de tes cheveux en un catogan qui te donne une allure d’artiste.

L’artiste que tu n’as cessé d’être. Envers et contre tout. Envers et contre tous. Contre tous ces jaloux qui enviaient ton élan, le foisonnement dans lequel tu cherchais ton chemin.
Tu n’étais pas conforme. Tu n’étais pas l’enfant sage, potiche que l’on aurait rêvé poser jusqu’à sa maturité. Tu fus enfant rebelle.
Tu posais des questions. Tu noyais de questions tes proches et tes moins proches. Sans doute parce que tu ne parvenais pas à formuler la question, la seule, celle qui t’aurait libéré de tous ces silences, de tous ces mépris, de toutes ces froideurs, de toutes ces injustices, de toutes ces réprimandes injustes.
LA question. LA seule.
Tu cassais par tes mots, par tes phrases, ce silence pesant qui entourait ta vie. Un silence rempli de mille distractions, des frères, l’école, ta mère, ton père, ses réunions au parti. Un silence abyssal.
Le silence qui entoure les racines lorsqu’elles se fraient un chemin dans l’obscur de la terre. Ce silence épais et minéral. Ce silence plein de fermentations.

Est-ce donc étonnant que tu aies choisi ce métier ou plutôt que ce métier t’ait choisi ? Malgré tous tes déboires d’enfant turbulent et d’adolescent agité, tu es devenu un spécialiste des plantes et des jardins. Tu as passé ta vie à choisir pour les autres les plantes, t’attachant aux couleurs et aux formes pour embellir terrasses, balcons et espaces verts. Pour des particuliers mais aussi des collectivités.
Des racines, tu en as vues. Des milliers.
Toi que l’on avait privé trop longtemps de tes propres racines.
Toi, grandi sans l’ombre d’un tuteur bienveillant pour t’accompagner dans ta croissance, pour te guider sur ton chemin, tu as passé ta vie à surveiller les hêtres, les cyprès, les thuyas, les buissons, les roses et les dahlias.

Tu parles toujours autant. De ce rythme empressé de ceux qui ont peur qu’on ne les écoute pas, qu’on ne les entende pas et puis qu’on les oublie. Tu occupes l’espace, toi dont on s’est si mal occupé…
J’ai retrouvé ta voix, sa chaleur, ses accents intacts, malgré ce long séjour : plus de trente ans dans le midi n’ont pas réussi à gommer ta gouaille de gamin.
J’ai retrouvé ton enthousiasme, cet intérêt que, seul, parmi tant de cousins, tu savais manifester aux autres, aux petites filles que nous étions, mes sœurs et moi, de plus de dix ans tes cadettes.
Une présence. Une gentillesse profonde. Gentillesse que la vie n’a pas pu déraciner. Gentillesse qui t’a valu tant de déboires personnels et professionnels.

Tu appartiens à la race des doux, à celle des bohèmes, qui marchent sur la terre en regardant le ciel, qui dans l’instant présent, entrevoient la beauté, qui savent lire les promesses dans le germe initial.
Tu sais lire la terre, ses saisons, ses errances. Tu l’aimes avec tendresse.
On ne peut être violent et caresser la terre, l’ouvrir pour y semer des promesses de vie, l’arroser d’une eau vive qui les fera grandir. Ce métier est si proche de l’amour.
Caresses, enfouissement, fécondation, mise au monde.
Métier de création. Métier de visionnaire.
Voir l’arbre devenu dans la graine en devenir.
Anticiper les pousses, les couleurs du printemps, de l’été, de l’automne. Anticiper la froideur et les rigueurs, celles qui par moment engourdissaient ton âme de petit garçon ?
La vie dans son relief et dans sa multitude.
Celui qui se penche vers la terre est obligé de s’abaisser, de se plier à ses rythmes, à ses humeurs. Il se place, dans le même temps, sous le joug du ciel, de ses lunes, de ses ardeurs ou de ses frimas.
Tu as cette sagesse qu’avait ce grand-père, qui n’était pourtant pas le tien par le sang, mais qui aimait la terre et qui scrutait le ciel.

Que la vie te donne encore plein d’années pour continuer à mettre au monde celui que tu n’as jamais cessé d’être, malgré les tentatives pour te museler, voire nier ton existence.
Tu portes en toi le regard de ceux qui voient au-delà du visible, que l’apparence ne peut combler. Tu es un créateur.
On dit d’une femme qui aide à la mise au monde de l’enfant qu’elle est une sage femme. Comment appeler celui qui accompagne la mise au monde des graines, celui qui a la vision de leur futur au moment même où il les installe en terre, l’une à côté de l’autre, dans une intelligence de sol, de l’ensoleillement, des pleurs du ciel? Un accoucheur de jardins ? Un poète vert ? Un xylophile ? Un dendrophile ? Un hortifère ?

Un alchimiste mêlant senteurs, formes et couleurs, en tout cas, un artiste.

MC Octobre 2015

http://grainesdereve.fr/

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