Le pianiste
Ils sont là, ensemble, lui presque debout, son piano ouvert.
La lumière dessine autour de lui des flammes et des étoiles. Il est dans l’infini. Il vogue.
Ses yeux suivent l’oiseau, son cœur écoute les trilles, ses doigts répondent à l’oiseau, ils caressent l’ivoire avec délicatesse, comme une main la soie ou quelque étoffe rare. Les notes s’élèvent, cristal dans le souffle retenu de la foule silencieuse.
Il monte dans le ciel, avec l’oiseau.
Il est nu, aucun voile pour couvrir cette nudité qui n’est pas impudique.
Il est un, aucun mur entre lui et la musique. Aucun mur entre lui et l’instant, et l’instant de l’instant.
Il est là, totalement, pleinement. Aucune faille. Le moment est si rond qu’il en forme une bulle. Une bulle d’intensité poignante.
Il nous prend dans sa bulle, dans l’étreinte de feu qu’il est en train de vivre. Il se donne et nous offre l’infiniment précieux au-delà du son.
Son visage extasié, son sourire de beauté transfiguré, ses gestes tout entiers de présence pure, il nous les offre dans cet éternel présent qu’il est en train de vivre.
Il irradie la Joie.
Danse amoureuse presque immobile, seuls ses doigts dansent sur le clavier, son corps s’ouvre et se dilate, comme surpris comme une toute première fois où l’on découvre le plaisir dans la rencontre des corps.
Sa beauté s'offre à nous, pure, incandescente et vient toucher très loin en nous ce noyau de beauté pure que nous abritons tous.
Il est là, fragile dans ce corps de souffrance dans lequel la maladie l’enserre en un étau chaque jour plus serré. Et du fin fond de cette fragilité, il puise la force d’amener à la lumière l’essentiel qui le fait vivre : l’harmonie, la grâce, le beau.
Il pourrait nous faire voyeur de son infirmité transcendée, il ne le fait pas : impossible. Il saisit notre main et nous marchons avec lui sur son chemin de notes, pas à pas, souffle contre souffle, cueillant des perles de joie au fond de sourire.
Et même si des larmes s’échappent de nos yeux, elles ne sont pas tristesse mais pure reconnaissance devant l’indicible révélé, incarné avec force et douceur.
Il est maître d’amour. De cet amour de feu que vivent les mystiques, les poètes, les vrais amoureux. De cet amour de feu qui embrase les entrailles, feu qui ouvre le cœur à l’unique instant, celui toujours le même mais toujours nouveau, où la vie crie « j’aime ».
Encre Mauve Février 2016