Le grimpeur

Grand. Très grand même. Des jambes qu’il ne parvenait pas à caser sous ces ridicules petits bureaux conçus sans doute pour des nains ou des demi portions. Un sourire de charmeur. Fluide.
Je l’ai eu comme élève en section tertiaire, en première et en terminale.
Ni très bon, ni un cancre, le minimum syndical. Sa vie à lui aussi semblait se dérouler, plus passionnante, ailleurs. En dehors du lycée.
Il eut son bac. Sans grande conviction. Comme un rite de passage sans enjeu majeur.

Je ne sais comment je gardais contact avec lui, à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas encore.
Je le revis pour lui proposer d’être mon cobaye : j’étais en train de me former au coaching et j’avais besoin de m’entraîner pour affiner ma pratique. J’allai, pour le découvrir autrement, le regarder s’entraîner au skate board qu’il pratiquait assidûment. C’était un spectacle étonnant que de voir ce géant s’élancer et bondir avec sa toute petite planche. Enfin, qui paraissait si petite par rapport à sa taille !
Puis je vins chez lui pour tenter avec lui de déterminer quelle orientation il pourrait suivre une fois le bac obtenu.

Le temps passa. Plus de nouvelles.
Je le rencontrai à nouveau par la magie de ce réseau qui peut n’avoir de social que le nom mais qui permet parfois de belles trouvailles ou des retrouvailles inattendues.
Grâce aux photos qu’il partageait, je découvris une autre de ses passions : l’escalade.
De skateboard il n’en était plus question.
Il empoignait les rochers de Fontainebleau ou d'ailleurs de ses longs bras et semblait s’étirer presqu’indéfiniment, adoptant des postures déliées, voire risquées au-dessus du vide, faisant corps avec la roche. Et dansant avec elle une improbable danse. L’alliance du figé et du dynamique, du rigide et du souple, du temps et de l’instant, de l’immobile et du dansant. Un sculpteur en mouvement sur une sculpture d’éternité.
Je devinais l’écoute au bout des doigts, des orteils. La palpation attentive des anfractuosités de la pierre pour y trouver l’appui pour progresser encore, la brûlure des muscles tendus jusqu’à l’extrême pour atteindre la prise par les yeux repérée. Le corps à corps amoureux avec la roche, avec tant de douceur et de patience qu’enfin elle se donne. L’adrénaline enfin dans ce surplomb du vide et cette négociation avec la pesanteur.
Je sentais sa maîtrise certaine au travers des clichés mis en ligne.
Déjà grand, il cherchait à grimper encore plus haut, comme pour accomplir ce que son corps lui signifiait à travers cette taille hors du commun.

À travers ses commentaires, je devinais une proximité de ses pensées et de ses options dans la vie avec les miennes. L'humain, la terre semblaient pour lui le centre de ses préoccupations. Un jour, nous décidâmes de nous rencontrer à nouveau.
Trois heures durant, nous discutâmes, autour de petits gâteaux qu’il avait apportés.
J’appris l’en dehors du lycée, les fêtes arrosées jusqu’à n’en plus pouvoir.
Il me livra son parcours universitaire dont il était revenu, ayant perçu le vide des études de communication qu’il avait faites.
Il me raconta comment une maladie l’avait mis au tapis et poussé à réfléchir sur le sens de la vie. Comment il se mit, tout seul, au yoga, à la méditation.
Il me raconta ce grand père qui semblait être un sage.
Il me parla d’escalade, des heures passées pour devenir moniteur.
Il me raconta comment il avait refusé une promotion dans une enseigne de sport pour pouvoir rester libre et ne pas avoir à appliquer des méthodes de management avec lesquelles il ne se sentait pas en harmonie et pour garder du temps pour sa passion.

Je découvris un homme mûr, posé, empoignant la vie avec beaucoup de sérieux et d’humour aussi.
Il me fit part de ses projets d’une autre vie, plus simple, plus proche de l’essentiel.
Un être réjouissant en dehors des circuits.
Un grand monsieur. Dedans aussi.

MC Janvier 2015

Comments

[46michele]

Fabuleux, grimpeur attachant ...