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Empreintes à l'encre mauve
30 décembre 2015

La maison de l'aïeule

dentellesSilence profond des objets. Où est votre mémoire ? Gardez vous l’empreinte de nos éclats de rire et de nos coups de gueule ?
Posés ici ou là au gré de nos envies, ô l’odeur de la cire molle sur le petit chiffon, cette couleur d’or au parfum de térébinthe : premiers enivrements à lustrer les pieds tout ronds de la table familiale !  Repérage des trous de vers que la gousse d’ail vivement frottée dessus devait envoyer au paradis des vers de bois.
Le fauteuil de l’aïeule reste infiniment vide.
Mais elle est là, toujours, toute vêtue de sombre, brodant ses capucines sur une toile de lin.
Le bahut centenaire recèle encore ce revolver dans le double fond d’un tiroir anodin, caché là pendant que les deux oncles étaient au maquis. Cette coupe aux fruits gravés dans la pâte raconte des mercis à jamais prononcés.
Et ce vase aux jonquilles s’offre en cadeau de fête depuis plus d’un siècle.

La coiffeuse au marbre blanc reflète l’or de la longue chevelure, brossée avec patience, puis tressée, remontée en chignon.
Dans son étroit tiroir, un cahier couvert de lignes régulières, poésies mauves ou bleues que l’ancêtre lisait, jeune fille cultivée dans cette petite ville de son Ardèche natale.
La mandoline au ventre dodu frémit sous la caresse des doigts de la jeune rêveuse posés sur ses cordes, avant que de se nouer à ceux de son bien aimé.
Le petit meuble à bobines raconte l’histoire d’amour de poilus, rescapés de la sale guerre boueuse, pour leur infirmière, jeune femme dévouée à panser leurs blessures, à réchauffer leurs âmes. Là, le berceau qui entoura de son bois sombre les premières nuits des cinq enfants, tous nés à la maison.
S’ouvre en grinçant la porte de l’armoire. Dentelles déroulées sur le métier, inachevées.
Voiles d’invisibilité, fil léger, tissé, entrelacé en fleurs de coton juxtaposées en alvéoles ouvertes au souffle d’infinité.
Dansent les doigts, glissent les mains, passe et repasse le fuseau complice sur la trame tendue, sur la trame ténue.
Et s’enroule la forme en long ruban immaculé, en volutes gracieuses. Sur le parquet ciré, paquets de dentelle abandonnés, de ci, de là dans la chambre obscure de poussière habitée.

La poussière a passé, a fui, une autre est revenue.
Ronde des détritus !
Silence profond des objets…
Lorsque l’oreille s’arrête et scrute, les sans voix sont bavards et ne tarissent pas.
Ils portent notre histoire à la leur mêlée, coups d’ongle, coups de balais, ébréchures et morceaux recollés.
Chambre hantée des souvenirs d’armoires et de commodes vieillies, patinées, hôtes des araignées. Commodes alignées contre les murs.

L’espace au centre de la pièce se recroqueville en peau de chagrin. Le regard devient clepsydre où coule la poussière. Le chagrin, en gouttes lourdes,  suinte le long des tiroirs disjoints, s’étire, s’étale, engendre ces fantômes de bois, bruissant d’éclats de voix et de gémissements.
Et pourtant ces dentelles étaient belles, promesses de noces, de joies et de baptêmes
Le silence seul est présent au cœur de la pièce.
La mémoire hésite, encombrée, à craquer l’allumette, secouer la poussière et s’envoler au loin, bâtir d’autres demains plus légers, plus profonds, plus joyeux et plus graves.
Promesses non tenues en bonheurs entrevus, couverts de suie, d’oubli et de sang desséché.

Combien de gisants pour un souffle de vie ?

 

MC Décembre 2015

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