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Empreintes à l'encre mauve
5 décembre 2015

Du désir encore...suite

Three_Wise_Monkeys,Tosho-gu_ShrineLes hommes se sont laissés subtiliser leur désir. Oh, ce rapt n’est pas survenu en un jour. On ne peut même pas dire qu’il ait été pré-médité. Comme ce mot dans ce verbe prend une sale petite couleur brune…
C’est arrivé lorsque certains hommes ont compris qu’ils pouvaient fabriquer des biens en grand nombre, et en tirer un plus grand profit. Mais des biens sans âme, sans personnalité, mais dont certains répondaient à un besoin. Certains. Pas tous.
Les hommes ont été chassés par les machines des campagnes vers les villes. Il fallait bien de la main d’œuvre pour travailler dans les fabriques. Ils ont perdu l’odeur de la terre au petit matin, la poussière du foin en été, la chaleur des bêtes et leurs grands yeux mouillés, les nuages au grand ciel, l’attente de la pluie, la caresse du vent, le froid glacial aussi qui transforme en roc l’humus, les contes au coin du feu, les châtaignes brûlantes, les danses paysannes. Ils ont perdu leurs gestes millénaires, leurs savoirs faire patients, aimants.

Et la machine a œuvré, mûe par le besoin des propriétaires d’usine de produire toujours plus, toujours moins cher, elle a vomi de ses entrailles des objets identiques, sans âme et sans histoire, sans la main qui caresse le bois ou bien la terre, qui façonne l’objet et lui donne sa forme.
Dans cette dynamique, la publicité a joué un rôle moteur. Très tôt, de premières « réclames » ont été conçues pour vanter les mérites de changer de mode de vie, se laver, se laver les cheveux, les dents, se chauffer autrement.
La publicité a été utilisée, pour modeler les habitudes, dans un premier temps. Ce qui a permis d’accéder au confort mais aussi à tout l’équipement ménager censé représenter un gain de temps et de fatigue. Missions qu’il remplit à merveille.
Mais lorsque la plupart des occidentaux ont pu accéder à ce confort, s’équiper, il a bien fallu, pour que la machine lancée puisse continuer sur son aire, il a bien fallu trouver comment convaincre les acheteurs de continuer à acheter.

Et l’homme s’est fait définitivement volé son désir.
Car les publicitaires se sont appuyés sur les recherches sur le psychisme humain, jouant sur les ressorts intimes de l’être, pour, de manière subtile, le conduire à substituer à son désir profond et unique, des envies multiples et de surface.
Le monde s’est uniformisé lentement, devenant un vaste centre commercial, mêmes boutiques, mêmes fringues, mêmes fast food, mêmes boissons gazeuses…
Et tandis que le désir se languit dans la prison de notre aveuglement, les envies nous baladent à l’écume de l’être. Et nous passons de tentation en tentation, d’achat compulsif en achat que nous croyons raisonnés parce que raisonnables, sans jamais être comblés, car ce n’est pas satisfaire ses envies qui dilate l’âme et remplit le cœur de joie.

Ce système est d’une perversion totale. Utilisant les ressorts profonds de l’âme humaine pour asservir trois fois l’homme.
Une fois comme consommateur, enjoint de communier à la grand messe des achats du week end dans les temples commerciaux à la périphérie des villes, sollicité par des mises en rayon soigneusement étudiées pour que la note finale soit maximale.
Une fois comme facteur de production, prié d’être efficace, rapide et jeté chaque fois qu’une solution moins coûteuse est envisagée.
Et la dernière fois, comme humain que l’on coupe de son humanité.
Rendu aveugle sur les conditions dans lesquelles les biens qui lui sont proposés sont produits à l’autre bout du monde, par des femmes, des hommes, des enfants travaillant pour des salaires de misère, dans des conditions d’hygiène et de sécurité dignes des débuts de nos révolutions industrielles. Révolution, accoler ce mot à industrielle me fait froid dans le dos. Mais passons.
Rendu sourd aux cris d'agonie des bêtes et de la terre.
Muselé, rendu muet, incapable de prendre du recul, de la distance. Coupé de ses capacités créatives. Devenu un être de réaction, vivant dans l’instantanéité de l’événement, communiant aux émotions fabriquées par les médias, hypnotisé par les contrefeux allumés pour détourner le regard du lieu où le réel se déroule.
L'homme actualise, en caricature grimaçante ce symbole de la sagesse que sont les trois singes de Bénarès.

Coupé de son désir, dépouillé de son essence, girouette agitée par tous les vents contraires, marin sur un vaisseau séduit par les sirènes, l’homme est devenu jouet.
Proie asservie et manipulable, incapable de penser un autre modèle de vie que celui qui est présenté comme le seul valable, il est à la merci des puissants de ce monde, impuissant à user de sa liberté de dire non, pour dire oui à son désir.
C’est faute de désir que l’homme est impuissant.
Combien d’années encore, combien de siècles, s’il n’a pas fait de la terre un enfer irrespirable et définitivement hostile, avant que la beauté du projet dont l’humanité est enceinte ne soit enfanté par le désir des hommes ?

MC. Décembre 2015

La photo associée à l'article: "The Three Wise Monkeys", carving on the stable of Tosho-gu Shrine, Nikko, Japan, MichaelMaggs, 27 January 2004
https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/33/Three_Wise_Monkeys%2CTosho-gu_Shrine.JPG

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