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Empreintes à l'encre mauve
2 décembre 2015

Les galets

galetsDans le mitan du jour, se poser et s’éprendre du souffle dans les feuilles, de l’encore doux de l’air, de deux chats enroulés, et d’un chien aux aguets.
Surprendre les mésanges devant les grains de blé.
N’espérer rien de plus que ce qui est là, offert.
Offert avec constance.
Se souvenir alors de ces très vieux sauriens qui peuplèrent la terre.
En avoir le vertige.
Ils étaient grands et beaux. Le monde était à eux.
Ils vivaient. Ils chassaient pour manger. Ils se reproduisaient. Ils mourraient. Ils sont morts. A jamais...

Ce matin, je suis allée chercher des galets chez T. Et oui, chez moi, pas de rivière aux rives de laquelle me pencher et me laisser appeler par des pierres polies. Chez moi, j’ai un juste un étang et il fait mon bonheur. J’y ai vu le soleil s’y coucher cent fois, contempler son image à la nuit venant pour s’assurer qu’au petit matin, il saurait se lever et reprendre sa course. J’y ai vu les nuages courir en ribambelle. J’y ai vu quelques cygnes y glisser en caresse sur l’eau. J’y ai vu de la glace emprisonner les rives. J’y ai vu les oies sauvages s’y retrouver, sonores, avant de s’envoler, corps tendu, vers leur destinée. J’y ai vu les mouettes souvent se chamailler. J’y ai vu boire le daim, passer le sanglier. J’ai même vu les fées, dans leurs voiles de brume, danser à sa surface, au tout petit matin.
Je n’y ai jamais trouvé un seul galet…

Lorsque je suis sortie de chez moi, mes voisins, tout sourire, partaient courir un peu.
Arrivée chez T. le parking était presque vide : il était encore tôt.
Les rayons étaient prêts à accueillir la foule.
Et peu à peu, le magasin s’est rempli, de parents et d’enfants, tous se dirigeant vers les rayons des fêtes.
L’or, le blanc et le rouge étaient au rendez-vous sous la forme d’étoiles, de verres, de bougies, de boules pailletées, de guirlandes en tout genre, de serviettes en papier, d’angelots rebondis et de Père Noël. L'or, la blanc, le rouge qui, dans la peinture d'icônes, symbolisent tous le monde derrière au monde. L'invisible lumineux. Au détour d’une allée, c’était des peluches plus grandes qu’un tout petit enfant.
Dans des vitrines aussi, il y avait des trains, des villages.
Et les parents portaient les enfants pour qu’ils puissent regarder.
Sur les visages c’était de la joie et de la tendresse. Les enfants contemplaient la magie des vitrines. Les parents contemplaient les visages de leurs enfants, guettant l’étonnement, le ravissement. La joie de l’autre nourrissant la sienne propre, par procuration.

Je me suis demandée si les parents n’étaient pas nostalgiques de leur propre ravissement pour le vivre ainsi, par enfants interposés. Ou bien s’ils l’avaient quitté et se satisfaisaient de la joie de leurs enfants. Démission de l’attente à laquelle les enfants, eux, sont ouverts dans l’immédiateté de l’instant.
Tout était si doux.
Les vendeurs s’affairaient pour compléter la mise en place de toutes les décorations.
Tout était prêt pour la fête, le décor et les cœurs.
Comme si rien ne s’était passé. Comme si aucun attentat ne risquait de se produire.
Comme si cette attente toujours renouvelée était nouvelle née comme la toute première fois.
J’ai pensé à toi O. Irais-tu cette année encore dans ta famille danser quelques pas devant une petite fille qui crierait à la cantonade «  il est fou, O. » ?
Et puis, j’ai pensé à la fête. Plutôt à cette attente de la fête.

Se souvient-on de ce que l’on attend vraiment? Là maintenant? En décembre? Dans notre pays ?
Mais n’attend-on pas toujours, tout le temps, chaque mois de l’année, et partout dans le monde ?
N’attend-on pas ce que l’on ne parvient jamais à nommer et qui nous échappe sans cesse ? Quelque chose que l’on nomme bonheur, faute de pouvoir en saisir les contours. Quelque chose de vital qui arrondit la vie, qui la rend plénitude. Que parfois le plaisir nous permet d’approcher.
Quelque chose qui n’est pas au bout de nos recherches, au bout de nos achats, même au creux de nos fêtes. Qui se dérobe sans fin.
Quelque chose qu’on voudrait embrasser et que l’on ne saisit pas.
Peut-être parce qu’il faudrait se laisser embrasser, se laisser saisir, envelopper comme par des bras vastes et doux.
Peut-être qu’au lieu de chercher le sens, de vouloir l’attraper, faudrait-il renoncer à jamais le trouver et se laisser trouver, dans une reddition de notre compréhension, de notre besoin même de comprendre, de nos peurs, de nos frustrations, de nos attentes.

Et puis, je suis rentrée. Avec mes quatre galets.
Me suis retrouvée, là, dans ma solitude choisie.
J’ai contemplé le gris du ciel et le blanc du bouleau.
La tristesse est venue et je l’ai regardée. Elle était de passage. Le mois de décembre est lourd pour tant d’êtres sur cette terre. Il est rempli de l’attente toujours déçue.
Car cette attente ne peut être comblée par rien de matériel, en tant que tel. Même si le matériel est notre lot et une incontournable condition de l’apaisement. Lorsqu’il n’est pas un enfermement.
Elle ne peut être comblé non plus par le faire. Même si le faire est l’apanage de notre condition humaine. Mais ce faisant, en faisant, nous ne comblons pas cette attente. Car il s’agit plus de poser des actes que de faire pour faire, pour remplir le temps. Car le temps n’a pas besoin d’être rempli, lui. Le temps il s’en moque d’être rempli. Se pourrait-il que ce soit nous qui le créions le temps en faisant, en n’arrêtant pas de faire ?

J'ai regardé ma tristesse. Rien n’a vraiment changé.
Personne n’est venu me tenir compagnie. Les chats dorment encore. Le chien aussi.
Je me suis posée pour m’éprendre du souffle dans les feuilles, de l’encore doux de l’air.
J'ai surpris les mésanges devant les grains de blé.
Je n'ai rien espéré de plus que ce qui est là, offert.
Offert avec constance.
Je me suis souvenue alors de ces très vieux sauriens qui peuplèrent la terre.
J'en ai eu le vertige.
Ils étaient grands et beaux. Le monde était à eux.
Ils vivaient. Ils chassaient pour manger. Ils se reproduisaient. Ils mourraient. Ils sont morts. A jamais...

Ne rien attendre. Ne rien chercher. Etre là. Avec soi. Avec ce qui est à l’intérieur de soi.
Et laisser la vie vivre. Puis peindre des galets. Pour les offrir après.

MC Novembre 2015

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